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Format : 14 x 20 cm Nombre de pages : 176
Prix : 24 € Date de parution : 2003
ISBN : 9782718606231
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Rêve je te dis
Frontispice couleur de Simon Hantaï |
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PRÉSENTATION
« Ils se narrent à moi dans leur langue, entre chat et loup, entre mêmes ou presque, entre douceur et cruauté, avant tout jour, avant toute heure. Je ne me réveille pas, le rêve me réveille d’une main, la main de rêve ouvre le tiroir à gauche de mon lit qui sert de coffre à rêves, saisit sans bruit le bloc de papier et le feutre Pilot V Singpen celui qui écrit si gros qu’il n’est pas besoin d’appuyer, il écrit tout seul, et l’on note dans le noir à toute allure, en marges, dedans par dessus bords, le récit remplit l’esquif à ras. Docile je ne dis mot le rêve dicte j’obéis les yeux fermés. J’ai appris cette docilité. Le rêve veut. Je fais. Je suis sans pensée sans réponse. Je note. La main dans le noir écrit tant bien que mal, heurté, déraillant. Une fois accompli, le rêve se glisse dans la boîte aux rêves et je me lève. Des dizaines de rêves plus tard, jusqu’à des centaines, arrive la lecture. À mon tour ! Les rêves dorment profondément. Voici que je contemple à loisir leur visage psychique, leur long corps hanté, et certes je découvre leurs secrets. Jadis je me sentais coupable de nuit. J’habitais toujours deux pays, le pays diurne et le pays continu discontinu très tempestueux nocturne. Mais je ne le disais pas. Je me croyais en fraude dans l’un et dans l’autre en fraude autrement, puisque je n’avais qu’un visa pour deux pays. D’ailleurs je n’aurais pas su dire lequel était le principal, le primordial, étant à deux vies et à deux temporalités, lequel était le légitime ou l’autre. J’allais à l’un qui était peut-être l’autre avec la joie subreptice qui donne à l’âme un ressort ailé lorsque je vais à l’amour à l’amance et même sans faire d’autre chemin que dans les profondeurs. J’ai rendez-vous. Quel délice de se rendre sur le parvis de nuit en espérant, sans savoir quelle aventure va arriver ! Où serai-je menée cette nuit ? Dans quel pays ? Dans quel pays à pays ? Jadis, j’ai craint de perdre mon pays de grâce. C’est que les Rêves ne se commandent pas. Ils font Dieu. On les prie, c’est tout. Seule leur volonté est faite. Cette crainte m’est venue lorsque, commençant à écrire, j’ai découvert avec épouvante que ce geste, écrire, devenu ma vie, ma permission, ma possibilité, ma cause de vivre était malheureusement à la merci et à la grâce des rêves comme l’enfant à la merci de la mamelle. Et si ça se tarissait ? Il arriva quelques saisons de sécheresse, je ne m’en souviens pas, mais cela arrive, on a parfois le lit vide, car c’est un sol fragile, sensible aux variations du corps, lequel est exposé aux circonstances séculaires. Les rêves veulent une bonne monture. La bête est-elle harassée, ils volent quand même, mais moins puissamment. Si je ne rêvais plus ? avais-je tremblé, je tomberais en poussière. Mais ils ne nous abandonnent pas, les dieux, chose mystérieuse. Ils sont tout comme Lui. Boudent-ils, se cachent-ils ? Jusqu’au jour où ils reviennent. Cette alliance-là – comment l’appeler ? – est incorruptible Cela donne une sorte de paix, savoir qu’ils reviennent. Or cette paix est une guerre. Car, la nuit dans le pays aux populations agitées et changeantes, il fait toujours guerre. Ce “livre de rêves sans interprétation” vient d’une plaisanterie. C’était à un dîner avec M. D. Donne-moi un livre dit cet éditeur de rêve. Pour rire je dis : veux-tu cinquante rêves ? Et ce fut fait à ma grande surprise. Ainsi, c’était pour rire, et cela n’aurait pu être autrement. Car si noires et sanglantes soient ces très courtes vies, les rêves, elles sont toujours aussi pour rire. Au plaisir de souffrir s’ajoute le plaisir du ridicule qui auréole le rêveur, en ce cas, la rêveuse. Voilà donc qui je suis aussi en réalité ? (Car le rêve dévoile la réalité, n’est-ce pas ?) Cette femme menacée d’échec et de présomption, tantôt bonne, tantôt vaniteuse ? Soit. J’accepte cette exhibition de mes faibles et de mes faiblesses, mes blessures secrètes, auxquelles je dois mes efforts vers la dignité et le sublime. J’avais dit : cinquante. Allez demander à Freud pourquoi cinquante. Alors on essaie de choisir des règles de non-choisir. Sans compter l’inconscient. Mais toutes les règles défaillent. Rêves de l’an 2000 ? Cela ferait croire qu’il y aurait des rêves par an. Rêves utilisés dans des livres ? Il y en a quelques-uns ici présents. Le reste est à l’avenant. J’ai pioché. Tiré les cartes. J’ai écarté des rêves que je jugeais menaçants ou menacés, par la lecture, d’interprétation dangereusement et inévitablement erronée. Cela m’ennuierait que dans une lecture sans prudences on croie que je-pour-de-bon aie pu avoir-pour-de-bon une liaison-pour-de-bon avec tel monarque ou tel grand écrivain d’un sexe ou un autre. Ou que l’on croie que j’ai vraiment tué ou voulutuer mon fils ou ma tante. Je n’ai aucunement “corrigé”, censuré, touché en rien aux récits enregistrés par la main entre chat et loup. Ils sont reproduits intégralement, bruts, innocents, tels qu’ils s’ébattaient dans l’aube préanalytique. Je pourrais, pour mon propre profit, les analyser. Moi seule pourrais le faire, puisque j’ai seule les clés. Je ne le fais pas ici. Je me suis tenue éloignée de l’analyse et de la littérature. Ces choses sont des récits primitifs. Des larves. J’aurais pu, les couvant, les porter à papillons. Alors ils n’eussent plus été des rêves. Je ne les a pas évalués : je reste leur rêveuse. Je suis encore dans le rêve qui a lieu dans moi. Aucune distance même minime ne me permet de les re-lire comme je puis relire des pages d’écriture, il n’y a pas d’instance tierce. À moi ils ont causé des ennuis et des troubles, mais je ne sais pas ce qu’à toi ils causeront. Au battement de mon cœur qui ne ment pas, je reconnais ma mère la vraie ou mon amour l’innocent. Toutefois, je tiens à dresser ici une pancarte sur laquelle on lira : Attention ! Rêves ! Ces Rêves arrivent avec des “titres” presque toujours. C’est à l’instant où le Rêve commence sa dictée qu’il se donne et m’annonce son nom. » H. C.
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