PRÉSENTATION
« Dans quel monde vivons-nous ? » : le plus souvent, dans cette question, le point d’interrogation vaut autant qu’un point d’exclamation. Elle sonne à la fois sur le mode de la révolte et sur celui de la résignation. Dans l’usage ainsi fait du mot – ou de l’idée – de « monde » se cache la valeur la plus forte qu’on puisse lui attacher : celle du cosmos, ensemble harmonieux des corps célestes dont les orbes portent les rapports de l’ordre universel, c’est-à-dire tourné vers une unité intégrale. C’est le sens et le balancement de cet ordre et de cet un qui se trouvent donc implicitement interrogés par cette question.
Il se trouve qu’aujourd’hui l’expérience – tant scientifique qu’existentielle – du monde déjoue la postulation « cosmique » dans laquelle la pensée semblait inévitablement devoir se déployer. D’une part, le monde-cosmos est éclaté ou désuni ; d’autre part, l’idée même de « monde » (un, ensemble) ne répond plus ni à l’investigation physique ni à l’interrogation métaphysique : « plurivers » ou « multivers » sont à l’ordre du jour des physiciens tandis que « multiplicité » et « multitude » traversent les sociologies autant que les ontologies.
En un temps où nous disons simultanément que le monde est toujours plus « globalisé » (donc unifié) et que nos modes de vie, de culture sont toujours plus hétérogènes, il faut remettre en chantier cette question : nous continuons à nous considérer comme vivant dans un monde alors qu’il n’est plus certain que nous puissions user encore de ces termes.
Nous ne sommes plus ni « dans » ni « devant » le monde, mais celui-ci dérobe et déporte de manière vertigineuse la consistance de sa réalité « en soi ». Et peut-être ne vivons-nous pas plus dans un monde ou dans plusieurs mondes que le ou les mondes ne se déploient, divergent ou se recoupent en nous et par nous.
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