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Les titres par année de parution


Tours promises
Format : 14 x 20 cm
Nombre de pages : 264
Prix : 27 €
Date de parution : 2004
ISBN : 9782718606538




Tours promises

PRÉSENTATION

« Vous verrez comment j’étais debout sur la scène du Grand Auditorium de la bn. Je lisais ces lignes d’une conférence : “À la fin de ce texte dis-je, je pars en visite à Montaigne avec lui. Nous allons dans la Tour comme d’habitude”, disais-je éblouie. Je me croyais avec lui. Je les avais rédigées un mois plus tôt. “Quel personnage” disais-je, pensant à mon frère. Je nous voyais dans trois jours à notre tour, comme d’habitude, nous allons à Montaigne comme nous allons à New York, à Montaigne, à New York, de tour en tour. Aveuglée par la puissante lumière blanche de l’éclairage de scène je ne voyais personne dans la salle, mais je m’adressais quand même à mon frère réel, ne sachant pas alors qu’il s’était “taillé”, comme il me le dit deux jours plus tard, non seulement de la bn, mais de toute mon œuvre où il occupait depuis des dizaines d’années une place deux fois essentielle : 1) la place du personnage de plus en plus spectaculaire que mon frère textuel est devenu, personnage comparable à mes yeux à celui d’un Hamlet-Cixous ; 2) la place de substitut vital, premier représentant éclaireur et acteur dans les Promenades éphémères et éternelles qui construisent ma vie avec le bien-aimé.
Or toutes ces Promenades, mythiques, littéraires, dramatiques, philosophiques, je les ai depuis toujours accomplies d’abord, une première fois et en premier lieu, avec mon frère et le personnage de mon frère, procédant à une répétition secrète avant la vraie première que tout de suite après nous porterions à perfection et une éternité, mon aimé et moi. On verra ici que tout dans cette histoire aura toujours été organisé selon le principe du quiproquo ou de la substitution calculée, mais incalculable.
C’est ainsi que nos Promenades auront toujours été gouvernées par des tours d’abord vient celle de Montaigne puis celles de New York. Nous allons à New York à Montaigne à New York, à Montaigne, à force d’aller sans modération d’une tour à l’autre quand nous allons à Montaigne nous allons aux fenêtres qui donnent sur le monde quand nous allons aux Windows on the World, du haut du 107e étage de la Tour sœurfrère de la Tour frèresœur nous voyons se dérouler le plus doux et végétal parchemin terrestre, la tapisserie vallonnée aux vignobles jusqu’à la courbure de la terre, “sur les traces des regards du philosophe”.
Je suis donc aveugle sous les projecteurs dans l’auditorium de la bn, me croyant aveuglée physiquement par ce flot de lumière brutale, et je ne me rends pas compte que je suis tout autrement aveugle, toute ma psychologie a les yeux bandés, je parle à mon frère et personne pour me dire qu’il n’est plus là et qu’il ne sera plus jamais là, avec moi dans un livre – pendant que je lis à haute voix un fragment d’un livre où il est avec moi, ce personnage est parti, ce qu’il ne peut pas faire sans emporter la moitié de la chair du livre avec lui.
Ce qui m’arrive exerce sur mon cœur la virulente souffrance que la phrase “Mademoiselle Albertine est partie” produit sur “la psychologie” du narrateur proustien. Quelle phrase ! Il faut deux volumes pour en répercuter l’explosion, ainsi que le mystère de la souffrance exprimé dans cette phrase célèbre mais étrange à l’analyse : “Comme la souffrance va plus loin en psychologie que la psychologie.” Et puis ce “Mademoiselle” qui arrache Albertine à Marcel !
Toutefois mon frère réel n’est pas Albertine, malheureusement, me dirai-je. S’il était Albertine, si je l’avais perdue moi aussi, je pourrais en tisser un magnifique voile de deuil. On perd une partie de soi-même, on répare. L’enfer dure une page. Mais du moins la fin du monde a une fin. Au coup de hache, à l’absolue brutalité de la disparition, s’arrête la comparaison. Heureusement mon frère réel n’est pas mort. “Il a seulement” me dis-je, et je grimacerai de douleur à ces mots, “en secret tué un personnage, un très grand personnage que j’aimais, qui promettait des merveilles”.
Plus de monfrère ! Alors que faire ?
Si je ne veux pas perdre à jamais la promesse de nos tours, quand j’ai compris ce qu’il y a d’inéluctable dans la décision de mon frère, et que j’ai besoin d’un « monfrère » pour que la machine mythique continue à tourner (car dans la composition de la machine-famille vivante qui est la diversion et le double de la scène principale souterraine où j’entretiens la vie de mes passions, il faut que la lecture trouve comme élément masculin conducteur un personnage de frère proche de la sœur) je pourrai remplacer mon Mademoiselle Albertine pensais-je.
Et tu crois que le lecteur ne sera pas fâché ? De ne plus voir le personnage de mon frère ? dis-je. Il est – ou bien il était – très populaire, je suis gênée, pensais-je. »
           H. C.

© Éditions Galilée
Site édité avec le concours du Centre national du livre
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